Pour des milliers de bisous sucrés
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Il est 2h30 du matin.
J’ai une rage de dent insupportable, je suis à la limite de tourner de l’œil et Alice pleure.
Alice pleure et je sais d’avance pourquoi.
Elle est chaude. Du genre super chaude. Le genre de chaleur qui fait clignoter toutes les diodes du cerveaux des mamans, même pas besoin du thermomètre, je le sais, elle a de la fièvre.
Je la prend dans mes bras, ma toute petite puce qui ne fait même pas 7kg à 9 mois, et je confirme mes doutes : 39.6.
J’avais beau le savoir, cette annonce me tue. Je fonds en larmes.
Non, non, ce n’est pas le fait que ma fille ait de la fièvre, un petit coup de paracétamol et elle sera comme neuve.
Non, c’est d’imaginer la nuit que je vais passer.
Je suis là devant le miroir, mon vieux jogging trop grand troué (il a dix ans, mais je l’aime trop.) qui recouvre mes pieds, mes cernes tellement prononcées qu’on a l’impression que j’ai trébuché en me mettant du crayon, mon t-shirt inondé de lait formant de grandes auréoles blanches, mes cheveux sales ébouriffés et mes yeux pleins de larmes.
Je sais que je vais devoir gérer seule la nuit. Mon mari prépare l’agrégation de géographie, il a beau être dans l’appartement, il n’est pas là. Il est concentré sur son épreuve même quand il dort. Il la préparer comme on prépare les jeux Olympiques. Deux semaines avant l’épreuve c’est 15h de révision minimum par jours, repas enrichis, vitamines et surtout, beaucoup de sommeil. Il en a tellement besoin qu’il ne dort plus avec nous, il dort dans le salon, à l’autre bout de la maison, séparé de nous par quatre murs de béton pour ne pas être réveillée si My Sweet Little Baby, elle, se réveille.
Ce qu’il y a de pire que d’être seule. C’est de ne pas être seule mais de quand même l’être. (tu me suis ?)
Je souffre tellement que j’en pleure. Alice pleure, je pleure et je veux juste que tout ça se termine. Comme j’allaite toujours, je ne peux prendre aucun médicament. Rien. Nada. Je peux juste souffrir en suçotant mon cachet de doliprane qui n’agit pas.
Et là, debout, au milieu du couloir, mon bébé dans les bras, je me sens toucher quelque chose de sombre et froid.
Ca y est. Je l’ai atteint. C’est ma limite. J’ai atteints ma limite. Je suis au bout et ça ne m’étais jamais arrivé de toute ma vie.
Et là, je vois la silhouette de mon mari se détaché dans l’encadrement de la porte du salon, il est face à nous et nous regarde sans rien dire.
Je suis tellement en colère que j’ai envie d’exploser, mais rien ne se passe.
Il finit par nous demande « qu’est ce qui se passe ? »
Et je m’entends répondre, un peu surprise moi-même par la réponse « Rien, je gère. »
Parce qu’au-delà de la fatigue, de la lassitude, de l’agacement il y a la fierté maternelle.
Parce que même au bout du gouffre, sur le bord de la falaise, j’ai juste envie de relever la tête et de me dire : « je peux traverser ».
Et j’y arrive.
Très sincèrement, je n’aurais jamais eu cette force psychologique et physique avant d’être mère.
J’ai appris à me dépasser toujours un peu plus et quelque part j’en suis très fière.
Je ne rechigne plus à la tâche, je le fais même avec plaisir.
Bien que je l’avoue, quand mon mari m’accorde un peu de pause, ou que je sors seule dans la rue (Ô miracle !) j’ai l’impression de revivre.
De temps en temps j’aimerais vivre une journée juste pour moi, sans avoir de compte à rendre à personne. Mais je sais pertinemment qu’au bout de deux heures mon cœur de maman se fendrait de douleur.
Je ne sais même pas si je suis encore capable de dormir une nuit complète sans me réveiller par automatisme.
En réalité ce qui me prend le plus de temps c’est les siestes de ma fille. Elle ne s’endort qu’au sein et qu’en cododo. Du coup je n’ai jamais de temps « sans elle » ou très peu. Tout ce que je fais je dois le faire avec un bébé voire deux quand je travaille.
Parfois une simple douche à la saveur d’un week-end de vacances.
Mais je ne me plains pas vraiment. Ma fille est un BABI (bébé aux besoins intense) je l’ai été moi aussi petite et j’imagine un peu ce qu’elle ressent. Je m’efforce à beaucoup sourire, dès que je croise son regard, je souris, je la fait rire, pour moi c’est essentiel, ça permet de tout effacer, de se sentir bien, je veux vraiment qu’elle soit heureuse et je suis persuadée que la thérapie par le rire peut tout arranger.
J’ai la chance d’avoir une patience immense avec les enfants, alors j’en use et j’en abuse parce que je sais que chaque petit sacrifice que je fais, elle me le rendra dix mille fois lorsqu’elle me fera un calin, me dévorera de bisous ou s’endormira contre moi.
C’est tellement délicieux de dormir son bébé collé contre son ventre, ça répare un peu le traumatisme du grand mystère de la vie. Ça permet de comprendre que oui, le bébé qui était dans notre ventre est bien le même que celui qu’on a déposé sur notre ventre. Je sens sa respiration et ses petit pieds taper contre mon ventre et c’est si doux…
Alors tout s’efface, et les milliers d’heure de sommeil en moins, les centaines de pas dans le couloir, les dizaines de tétées par jour, tout s’envole et s’évapore comme autant de petits bisous sucrés qui viennent se poser sur ma peau.
Je suis maman, et ça vaut tout l’or du monde.